Le Culte de la Citrouille
Pourquoi les Américains idéalisent l'automne alors qu'en France on s'en fiche.
Bonjour tout le monde,
Parler de temps de chien cette semaine serait un euphémisme. Inondations en France à cause de la dépression Kirk, inondations aussi au Tchad où près de 600 personnes sont mortes à cause d’une saison des pluies intensifiée par le changement climatique, sans parler de la Floride où l’ouragan Milton a privé trois millions de personnes d’électricité - je pense qu’on peut s’accorder pour remarquer un problème global.
Beaucoup plus trivialement, toute cette pluie menace de ruiner mon idée de chronique ancrée dans le caractère rougeoyant, réconfortant et mélancolique de l’automne.
Vous allez me dire: “Mélancolique ? Réconfortant ? ROUGEOYANT ?! Julia, à Paris il y a deux saisons : 1) canicule étouffante-macadam en feu-transpiration dégoulinante, et 2) pluie”.
Oui, bien que les feuilles d’arbres commencent à roussir, à Paris, elles ont surtout tendance à… tomber de manière peu cérémonieuse en novembre, révélant des squelettes filandreux déprimants au plus haut point visibles jusqu’en avril. Je profite de ce paragraphe plombant pour vous prévenir dès maintenant qu’il y a moins de blagues dans cet épisode que dans celui de la semaine dernière, probablement à cause de cette pluie atroce et de ma playlist d’automne 2022 que j’écoute depuis lundi. Accrochez-vous, ça devrait quand même être intéressant !
Alors pourquoi vous parler de l’automne? Justement parce que je suis frappée par le gouffre entre ce que l’on vit vraiment et la représentation que l’on peut en avoir dans les médias et à laquelle j’ai goûté pour la première fois en 2018 dans le Missouri, cet Etat du Midwest connu pour avoir quatre vraies saisons dont un automne magique qui nous transporte droit dans la série Gilmore Girls (ou le film Dead Poets Society).
Quand je parle de représentations de l’automne, je pense surtout à celles que produit la culture américaine depuis des décennies et dans laquelle je suis immergée depuis que j’y ai vécu. Pour tout vous dire, je suis bombardée par des recettes de chocolats chauds et des tutos déco à base de citrouilles et de guirlandes de feuilles depuis le mois D’AOÛT.
Les Américains célèbrent la fin de l’été et l’arrivée du froid avec des actions bien précises et parfois très centrées sur la consommation. Quelques exemples trouvés en ligne cette année :
L’achat d’une montagne de plaids cozy
Le renouvellement de sa garde-robe de mi-saison avec des pulls marron-ocre et des chaussures type sabots Birkenstocks
Les stocks de bougies qui sentent le “pumpkin spice”1 et, de plus en plus, une nuée de produits complètement aléatoires comme des gels douche ou du dentifrice “pumpkin spice” vendus en durée limitée à cette période
Sur Pinterest, il y a également des bingos d’activités spécifiques à faire de septembre à novembre. Elles ne sont pas mercantiles en soi, mais ont-elles de la valeur si on ne partage pas nos expériences sur TikTok ou Instagram ?
Visiter un champ de citrouilles ou un verger de pommes2
Faire des activités manuelles comme du tricot ou du coloriage dans une pièce tamisée avec des bougies
Se promener à l’arrière d’un tracteur à travers les bottes de foin
Se perdre dans un labyrinthe dans un champ de maïs
Sculpter des citrouilles et y mettre des lampions pour les transformer en Jack-O’-Lanterns

Tout ça fonctionne surtout sur la côte Est ou dans le Midwest, des zones où le climat et le paysage évoluent vraiment selon les saisons. Pas comme le Texas (32°C à Houston aujourd’hui) ou la Californie (28°C à Los Angeles).
Cette année, j’ai voulu réfléchir à quels rituels équivalents on avait en France pour célébrer l’arrivée de l’automne. Mais je n’ai pas retrouvé une telle attention portée aux concepts de réconfort ou de cocon. Je ne remarque pas la même mélancolie pour des temps plus simples où l’on passait juste de bons moments en famille au coin du feu au lieu de se battre au supermarché pour acheter une bougie rare sentant la citrouille. Voici quelques rituels d’automne français que j’ai pu trouver :
Les vendanges puis des fêtes populaires comme l’arrivée du Beaujolais nouveau (?)
La cueillette des champignons
Ramasser puis griller des châtaignes
Le début des soupes au potimarron et des gratins en tout genre
Halloween, moins important ici qu’aux States mais qu’on voit apparaître dès septembre dans les pubs et vitrines des commerçants, puis fin octobre pour des fêtes costumées suscitant l’engouement
Je pense que vivre en ville me coupe d’autres traditions que je ne connais pas, n’hésitez pas à en suggérer en commentaires (haha le call to action en fin de newsletter, vous me voyez venir ! D’ailleurs, cliquez sur le cœur en fin d’article si ça vous a plu, ça aide au référencement).
Alors. Pourquoi les Américains cherchent-ils à idéaliser cette saison alors que c’est un tel non-sujet en France ?
Une piste serait du côté de Marx et de la fétichisation des marchandises. La YouTubeuse américaine Tiffany Ferguson explique comment on a remplacé des moments collectifs de travail de la terre et de récolte de ses fruits par des pratiques commerciales qui nous donnent l’impression d’une participation active… en tant que consommateurs et non membres d’une communauté soudée. La vie en ville nous éloigne de ce contact à la terre. Avec le réchauffement climatique, “y’a plus de saisons”, et chaque journée ressemble à la suivante. Mais des produits estampillés “automne” attirent l’œil dans les rayons et nous signalent que le temps passe, qu’on l’ait remarqué dans notre chair ou non.
De manière plus terre à terre, l’automne est aux Etats-Unis une période très festive, d’abord entre amis avec Halloween fin octobre, puis en famille avec Thanksgiving fin novembre. Cela pourrait expliquer cette nostalgie. En France, beaucoup vivent un phénomène similaire à Noël : une date qu’on a pu adorer enfant et qu’on attendait toute l’année. Un moment spécial, avec nos proches, de la bonne nourriture et un grand réconfort face à l’adversité du dehors où les jours raccourcissent et les températures rafraîchissent (si tout va bien).
En conclusion : Je ne suis pas une “fall girly” car pour moi, automne = dépression saisonnière et retour à une garde-robe sombre et contraignante. Mais être adulte, c’est aussi trouver de la magie et de la joie où on le peut. Je comprends l’attachement sentimental à des rituels qu’on retrouve d’une année à l’autre. Je trouve légitime le grand attrait des petits conforts du quotidien quand autour de soi tout s’effondre.
Juste une suggestion pour l’année prochaine : déplacer tout ça au mois de février, quand on en a VRAIMENT besoin, après les fêtes de fin d’année, quand il reste trois mois à tirer avant que les feuilles d’arbre ne remplument les branches maigrichonnes des arbres parisiens.
À la semaine prochaine ! D’ici-là, je vais travailler à la guirlande d’Halloween que je fabrique à mon cours de couture avec la géniale Kristina.
Julia
Ils ont réussi à commercialiser un mélange d’épices très facile à reproduire chez soi : cannelle, noix de muscade, clous de girofle et gingembre
N’hésitez pas à venir me crucifier dans les commentaires si c’est la mauvaise appellation et j’effectuerai la modification, je suis une Parisienne-de-mes-deux et je ne sais pas comment me référer à ces lieux, désolée
🎃🎃🎃🫶
Hello Julia, très contente de te lire de nouveau !